La basilique du Sauveur, près de laquelle, depuis le Ve siècle, les Souverains Pontifes établirent leur résidence ordinaire, réclame aujourd’hui l’honneur des rites par lesquels l’Église commence précisément en ce jour la solennité pascale. Autrefois, il y avait trois messes ; une le matin, pour la réconciliation des pénitents publics ; une autre pour la consécration des saintes Huiles destinées à l’onction des infirmes et au Baptême ; la troisième enfin, vers le soir, pour la commémoration de la Cène du Seigneur et la communion pascale. On comprend donc pourquoi au lieu de célébrer la station à Saint-Pierre, qui était alors en dehors de l’enceinte de la Ville, on la tenait, plus commodément, au Latran.
Actuellement, le rite est moins complexe, et la discipline de la pénitence publique étant tombée en désuétude, l’on consacre les saintes Huiles à la messe du matin, quand cette cérémonie n’est pas déplacée pour plus de commodité !
La triple synaxe que célébraient nos pères leur avait toutefois suggéré à eux-mêmes un prudent raccourcissement de la cérémonie, et nous apprenons par les documents du VIIIe siècle que la troisième messe commençait directement par la préface, les lectures, les psaumes et tout ce qui précède habituellement la prière consécratoire, ou canon, étant omis. C’est pourquoi, dans notre missel, toute la première partie de la messe du jeudi saint manque d’éléments propres, et glane dans d’autres messes les morceaux qui la composent.
Nous avons entendu la lecture d’un passage de la lettre de saint Paul aux Corinthiens (I, II, 20-32) sur l’institution du sacrement de l’Autel et sur les dispositions d’âme et de corps requises pour y participer dignement. Cette lecture a déjà été faite à l’office nocturne mais il convient de la répéter, car sa place naturelle est précisément à la messe du jeudi saint. A Corinthe, à l’occasion du banquet commun où, selon l’exemple du Sauveur et la toute première discipline apostolique, se consacrait alors l’Eucharistie, cet abus s’était introduit que les riches ne pensaient qu’à eux-mêmes et laissaient par derrière les pauvres et les retardataires. Cela, observe l’Apôtre, n’est plus la Cène du Seigneur, mais ressemble par trop à ces banquets en usage dans les confréries religieuses païennes qui avaient aussi des repas collectifs. Il s’agit moins de satisfaire aux besoins du corps que de conserver intacte la signification sacramentelle de la Cène où l’on célèbre en commun le sacrifice commémoratif de la mort du Seigneur et où l’on y participe ensemble. Que chacun donc scrute sa conscience, afin que le pain de vie, mangé indignement, ne devienne pas une cause de mort et de condamnation.
La messe est donc, selon l’enseignement de l’Apôtre, un véritable et propre sacrifice commémoratif de celui du Calvaire, c’est-à-dire de la mort du Seigneur. Nous devons par conséquent y prendre part avec une foi vive et avec reconnaissance, dans la mesure où nous voulons bénéficier des effets de la rédemption. Il appartient au rite du sacrifice qu’on y participe moyennant la manducation de la victime. Chez les anciens peuples, on entendait signifier par ce banquet final la relation intime existant entre la victime sacrifiée et les fidèles, au nom de qui elle était offerte à la divinité. La victime se substitue à celui qui l’offre, et, en conséquence, celui-ci mange une part de cette victime pour s’incorporer à elle qui, légalement, le représente. De plus, le banquet du sacrifice a un caractère sacré, et symbolise la réconciliation de la divinité avec l’homme, à ce point que l’un et l’autre s’assoient amicalement ensemble à table.
Dans la sainte messe, le prêtre doit nécessairement participer à la sainte victime moyennant la communion sacramentelle. Aux simples fidèles il suffit de s’y associer par la communion spirituelle ; mais il est dans l’esprit et dans les désirs ardents de l’Église qu’eux aussi, s’ils le peuvent, prennent part au Sacrifice, en recevant réellement la sainte communion « en mémoire de la mort du Seigneur ».
La lecture de saint Jean rapporte le lavement des pieds, et n’étant guère en relation avec le mystère eucharistique, elle accuse son caractère d’addition postérieure. Primitivement cet épisode se lisait le mardi saint.
Jésus voulut laver les pieds de ses disciples, soit pour nous donner un exemple, et même un commandement, d’humilité réciproque, soit pour nous apprendre avec quelle souveraine pureté nous devons nous approcher de lui : « Qui sort du bain n’a besoin que de se laver les pieds. » Pour être digne de son amitié, il ne suffit pas d’avoir l’âme pure du péché mortel, mais il convient aussi de le détester en arrachant du cœur tout ce qui n’est pas Dieu.
Le pardon aux pénitents, le chrême du Paraclet sur le front des baptisés, l’huile de consolation sur les membres des moribonds, la divine Eucharistie dans le cœur de tous les fidèles : que de mystères ineffables de miséricorde en ce jour de la Cène de Jésus, où Il épanche le trop-plein de son Cœur, et, quoique nous ayant toujours aimés, in finem dilexit, Il nous aima éperdument, jusqu’à la croix, jusqu’à la mort !
Pour conclure, empruntons à la liturgie grecque le texte suivant, relatif à la fête de ce jour : « Approchant tous avec crainte de la Table mystique, recevons le pain avec une âme pure et ne nous séparons pas du Seigneur, afin que nous voyions comment il lave les pieds des disciples et que nous fassions ainsi que nous aurons vu, soumis les uns aux autres, lavant les pieds les uns des autres. Car le Christ l’a ainsi commandé à ses disciples, mais Judas, le serviteur perfide, ne l’a pas entendu. » Amen