« Nul ne peut servir deux maîtres. » A cette même intention, bonne ou mauvaise, se rapporte ce que notre Seigneur expose en conséquence de son assertion : « Ou il haïra l’un et il aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. » Il faut examiner attentivement ce passage ; le Seigneur lui-même indique quels sont ces deux maîtres, en ajoutant : « Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. » Les Hébreux donnent, dit-on, aux richesses le nom de Mammona. En langue punique, ce mot a le même sens ; car mammon signifie gain.
Servir Mammon, c’est être l’esclave de celui que sa perversité a préposé aux choses terrestres, et que le Seigneur appelle « prince de ce monde ». Donc : « ou l’homme le haïra et aimera l’autre », c’est-à-dire Dieu ; « ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. » En effet, quiconque est esclave des richesses s’attache à un maître dur et à une domination funeste ; enchaîné par sa cupidité, il subit la tyrannie du démon, et certes, il ne l’aime pas ; car qui peut aimer le démon ? Mais cependant il le supporte.
« C’est pourquoi, continue le Sauveur, je vous dis : Ne vous inquiétez point pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous vous vêtirez. » Il ne veut pas que notre cœur se partage à la recherche, non seulement du superflu, mais même du nécessaire, et que, pour nous le procurer, notre intention se détourne de sa véritable fin, dans les actions que nous paraissons faire par un motif de miséricorde. C’est-à-dire qu’il ne veut pas que, tout en paraissant nous dévouer aux intérêts du prochain, nous ayons moins en vue son utilité que notre avantage personnel, et que nous nous regardions comme exempts de fautes, parce que nous ne voulons obtenir que le nécessaire et non le superflu.
On ne peut servir en même temps Dieu et les biens matériels, mais on doit avant tout rechercher le Seigneur au moyen de l’observance de sa loi, attendant de sa Providence tout ce qui sera vraiment nécessaire pour le bien-être du corps. Cela ne comporte point une certaine insouciance fataliste, laquelle, dans l’oisiveté du corps et de l’esprit prétend recevoir tout du Seigneur par miracle, mais modère seulement l’activité humaine et la contient dans les limites établies par Dieu, qui, tout en nous ordonnant de pourvoir à nos besoins à la sueur de notre front, nous défend de nous y attacher avec excès, comme si l’homme n’était que chair et matière, ou comme si la divine Providence n’existait pas.
Avec cet évangile qui est un des plus charmants passages de la Sainte Écriture, il est clair que le chrétien ne doit pas signer de compromis avec le monde : servir un peu Dieu et goûter un peu au monde. Le Christ nous trace une autre ligne de conduite : la confiance profonde dans la bonté de Dieu. Que de consolation a apportée à l’humanité dans le besoin la comparaison de l’oiseau que Dieu nourrit et des lis des champs qu’il revêt de splendeur ! Toute la messe nous rappelle les relations entre Dieu et nous : il est notre Père et nous sommes ses enfants. Ses enfants ! Prenons de plus en plus conscience de ce titre. Nous sommes une communauté sainte, et les anges de Dieu veillent avec soin sur nous. Le monde et l’enfer ne peuvent rien contre nous. Nous nous préparons à « goûter et à voir » la « douceur du pain du Christ ». Amen