Sermon donné par Monsieur l’Abbé Laurent Déjean (FSSP)
le 14 août en l’église Saint André des Cordeliers à Gap.
Sur l’orgueil
« Je ne suis pas comme le reste des hommes. »
Lc 18,11
Mes frères,
Voilà le langage de l’orgueilleux. Et ce langage, hélas, est le plus parlé dans le monde. Qui n’a jamais voulu se distinguer de la foule de ses semblables ? Qui ne s’est jamais cru meilleur que les autres, dans un domaine ou dans un autre ? Qui n’a jamais ramené à lui un de ses talents ? Qui n’a jamais voulu se faire remarquer ?
Et pourtant, ce langage, pour répandu qu’il soit, n’est pas le langage de notre patrie. Car, comme le dit l’apôtre saint Paul aux philippiens, « notre patrie à nous est dans les cieux » (Ph 3, 20). Or, au ciel, on ne parle pas ce langage.
Ce langage, en effet, est le langage de l’ enfer. Il est apparu pour la première fois sur les lèvres de Lucifer, avec son « non serviam, je ne servirai pas». De là, ce langage est passé sur les lèvres d’Adam et Eve, quand, succombant à la tentation du serpent, ils ont voulu être comme des Dieux, puis, par voie de génération, à toute l’humanité.
Mais pourquoi donc ce langage rend-t-il si odieux ceux qui le parlent aux yeux de Dieu ? Parce que rien n’est plus opposé à l’amour de Dieu que l’orgueil. L’orgueilleux, en effet, se regarde comme son propre Dieu.
Se regarder comme son propre Dieu … N’est-ce pas ce que nous faisons, mes frères, quand nous faisons nôtres les dons – naturels et surnaturels – dont Dieu nous gratifie ? Si nous ne les faisons pas nôtres, pourquoi alors nous croyons-nous meilleurs que les autres ? Si nous ne les faisons pas nôtres, pourquoi ne nous réjouissons-nous pas que Dieu nous les ait donnés ? Pourquoi trouvons-nous cela normal de les avoir, ces dons ?
Si nous ne les faisons pas nôtres, ces dons, pourquoi sommes-nous toujours à nous comparer aux autres ? Pourquoi sommes-nous jaloux au lieu de nous réjouir de ce que Dieu fait pour les autres ? Pensons-nous savoir mieux que Dieu quels dons il convient de faire à chacun ?
Se regarder comme son propre Dieu … N’est-ce pas ce que nous faisons quand, devant une épreuve que nous envoie la Providence, nous nous révoltons ? N’est-ce pas ce que nous faisons quand nous voulons que tout se passe selon nos désirs ? Le bon Dieu n’est-il pas assez sage pour gouverner sa création ? Lui manquerait-il des compétences ? Les aurions-nous, nous, ces compétences qu’il n’aurait pas ?
Se regarder comme son propre Dieu … N’est-ce pas ce que nous faisons quand nous attendons des compliments ou des louanges sur nos bonnes œuvres ? Quand nous attendons des félicitations pour nos succès ? Agissons-nous pour notre propre gloire ou pour celle de Dieu ?
L’orgueilleux se regarde comme son propre Dieu, et, par conséquent, ce n’est plus Dieu qu’il regarde, mais lui-même. Et, comme il ramène tout à lui, l’orgueilleux, si il se met à prier, n’ a rien à demander à Dieu. II ne prie plus pour son salut, il ne demande pas pardon pour ses péchés. II n’aime plus le bon Dieu, mais lui-même. Et, ainsi, il en vient à perdre son âme.
Aussi, mes frères, n’oublions jamais que le langage de l’orgueilleux est le langage de l’enfer. N’oublions jamais tous les maux que l’orgueil a causé. Sans orgueil, il n’y aurait point d’enfer. Sans orgueil, nos premiers parents seraient encore au paradis terrestre, et nous jouirions des dons préternaturels : pas de maladie, pas de mort, pas de toutes ces misères qui nous accablent au quotidien. Sans l’orgueil, nous serions assurés de parvenir dans l’éternité bienheureuse.
N’oublions jamais, non plus, ce qu’il en a coûté à Dieu pour l’expier. Il a voulu se rabaisser jusqu’à prendre notre nature. Il est venu en ce monde de parents pauvres. Il est né dans une étable, il a vécu comme une personne de rien, n’ ayant pas de pierre ou reposer sa tête. Il a enfin connu la mort la plus ignominieuse.
Rappelons-nous que, de nous-mêmes, nous ne sommes que néant et péché. Sans Dieu, nous ne pouvons rien. Ce qu’il y a de bien en nous, ce qu’il y a de bon en nous, tout cela vient de Dieu. C’est donc lui qu’il faut en glorifier. Ne lui volons pas cette gloire.