Voici le dimanche qui, selon l’ordre du Missel, précède le grand jeûne d’automne, appelé par les anciens le jeûne du VIIe mois. Les saints Pères avaient coutume d’en donner avis au peuple, accompagnant cet avis d’une exhortation à la pénitence et à l’aumône. L’insistance avec laquelle ils reviennent sur cette dernière idée est remarquable : le jeûne chrétien ne vise point à un but hygiénique ou économique, à l’avantage de la bourse, mais il se propose au contraire la correction des vices et la pratique de la charité, les pauvres profitant de ce que l’abstinence soustrait au corps. A l’origine il semble que ce jeûne, d’institution toute romaine, ait voulu donner une orientation et un caractère chrétiens aux antiques fêtes champêtres des païens à l’occasion des vendanges.
C’est pourquoi la solennité demeura en honneur, avec ses processions parcourant les voies de la cité et des faubourgs ; mais la messe, de caractère éminemment festif, fut précédée du jeûne, comme pour faire goûter à Dieu le premier les fruits nouveaux, prémices de la saison d’automne.
Dans l’évangile, Jésus ayant précédemment réduit au silence les sadducéens, les pharisiens reviennent à la charge. Ils auraient dû pourtant se tenir tranquilles. Les voici qui continuent la lutte des premiers et poussent en avant le docteur de la loi. Ils n’ont nullement l’intention de s’instruire, mais ils s’affairent à tendre un piège. Ils demandent : « Quel est le premier commandement ? » Comme le premier commandement était celui-ci : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu », ils proposent la question dans l’espoir que Jésus leur donnera prise en corrigeant ce commandement pour démontrer qu’il est Dieu. Que fait donc le Christ ? Il veut démasquer le motif de leur conduite : ils n’ont aucune charité, ils se rongent d’envie, ils sont captifs de la jalousie. Alors il dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. C’est là le premier, le grand commandement et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Pourquoi, « il lui est semblable » ? Parce que l’un introduit à l’autre qui en reçoit sa structure à son tour. « En effet, tous ceux qui font le mal haïssent la lumière et ne viennent pas à la lumière ». Et encore : « L’insensé a dit en son cœur : Non, plus de Dieu ! ». Et quelle est la conséquence ? « Corrompues et abominables leurs actions ! ». Et encore : « La racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent, et certains pour s’y être laissés prendre, se sont égarés loin de la foi », et « Celui qui m’aime gardera mes commandements », ses commandements et leur chef de file : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu et ton prochain comme toi-même. »
Pourtant si aimer Dieu, c’est aimer le prochain, (« Si tu m’aimes, Pierre, dit-il, conduis mes brebis ») et si aimer le prochain réalise l’observance des commandements, il dit à bon droit : « De ceux-ci dépendent toute la Loi et les Prophètes. » Certes, il agit ici aussi comme il l’avait fait précédemment. Interrogé alors sur la modalité de la résurrection, il a enseigné aussi la résurrection, les initiant à plus qu’ils n’en demandaient. Ici encore, interrogé sur le premier commandement, il exprime aussi le second qui ne s’en écarte guère, puisque le second lui est semblable, leur insinuant qu’à l’origine de leur question, il y avait de la haine, car « la charité n’est pas jalouse ».
Donc le commandement d’aimer le prochain est semblable à celui qui nous fait aimer Dieu, car c’est pour l’amour de Dieu que nous aimons le prochain. « Double est le commandement, déclare St Augustin, mais une est la charité ». Amen