Nous fêtons Saint Pierre et Saint Paul : deux personnages que tout semblait opposer. Le premier est un simple pêcheur, sans grande instruction, un homme généreux et simple, mais aussi d’une prudence toute paysanne et parfois même hésitante. Le deuxième est un intellectuel, aussi versé dans les Lettres grecques que dans les Écritures rabbiniques, activiste et audacieux. L’un est rural ; l’autre citadin, citoyen romain par naissance. Pierre est un poltron qui se soigne ; Paul un orgueilleux qui se corrige. Mais il restera toujours chez l’un des traces du lâche qu’il a été, et chez l’autre de l’orgueilleux qui a eu besoin d’être retourné comme une crêpe par la rude expérience du chemin de Damas. Si Pierre était marié, Paul était célibataire ou peut-être veuf. Leurs rencontres sont rares et plusieurs fois ils ont été en conflit. Leurs routes se croisent peu, Pierre se tenant à Jérusalem et à Rome, Paul parcourant en tout sens le nord-est du bassin méditerranéen.
Pourtant leurs vies ont bien des points communs. Un grand amour pour Jésus d’abord. Certes, il se déploie selon leur tempérament, « la grâce n’abolit pas la nature » se plaisait à dire le Moyen-âge. Pierre grandira avec des allers et retours et même un reniement, avant de se rendre totalement : « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime » (Jean 21, 17). Paul se fera soudainement terrasser et ne reviendra jamais sur ce virage à 180°, après sa vie de persécuteur. «Ma vie… je la vis dans la foi au Christ qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Galates 2, 20). Mais ce même amour de Jésus les conduira, pratiquement en même temps, à suivre leur Ami dans sa passion et dans sa mort.
Ensuite, leurs vies, si divergentes en apparence, manifestent la présence sans cesse actuelle du Ressuscité. C’est le Christ qui agit lorsque Pierre est libéré de sa prison ou quand il guérit l’impotent à la Porte du Temple. C’est lui qui est à l’œuvre dans les courses de Paul à travers l’Asie Mineure et la Grèce, où naissent dans ses pas tant de communautés de païens convertis.
Pierre, de par son origine et sa culture, s’est plutôt porté vers les juifs passés au christianisme et s’est attaché à organiser et unifier les premières communautés. Il était le roc sur lequel s’est bâti l’Eglise. Paul, au contraire, est devenu « par ordre du Seigneur » hardi évangélisateur des païens, rendant l’Eglise naissante autonome par rapport au Judaïsme. Il est rempli de la flamme et du souffle de l’Esprit. L’un comme l’autre ont été, dans leurs tensions, indispensables et complémentaires. L’organisation des communautés et le charisme missionnaire sont tous deux nécessaires à l’édification de l’Eglise.
Qu’en tirer pour conclusion pour nous aujourd’hui ?
Ne pas dramatiser les tensions dans nos communautés, dans l’Eglise : les oppositions peuvent s’harmoniser dans la communion. C’est la pluralité qui forge la véritable unité.
Savoir nous accepter : c’est de nos natures diverses, et même de nos fragilités acceptées dans l’humilité confiante, que le Seigneur façonne le saint, la sainte qu’il veut faire de nous.
Enfin et surtout, recevons inlassablement la force d’aimer jusqu’au bout le Seigneur Jésus par la fidélité à la prière et à l’eucharistie.
Les Actes des Apôtres nous montrent l’Eglise primitive qui se constitue autour de Pierre et des 12, tous unis dans la prière, l’écoute de la Parole et la fraction du pain. Et voilà que Paul, appelé par Dieu, vient ouvrir ce cercle un peu fermé en faisant entrer dans l’Eglise les nations païennes. Son zèle bouscule et perturbe les premières communautés qui sont toutes d’origine juive. Sa conception pastorale d’ouverture et de liberté désoriente l’Eglise naissante et provoque ce qu’on a appelé le concile de Jérusalem. On y voit l’autorité de Pierre déjà reconnue et acceptée. Après bien des discussions, il est décidé de ne pas imposer aux païens les prescriptions de la loi juive. Un jour, Paul s’opposera publiquement à Pierre qui paraît encore hésitant par crainte de froisser la sensibilité des chrétiens de tradition juive : c’est le conflit d’Antioche rapporté au c. 2 de la lettre aux Galates. Quand Pierre vint à Antioche, je me suis apposé à lui ouvertement, car il s’était mis dans son tort. Mais Paul réprimande aussi les chrétiens de Corinthe issus du paganisme qui font de l’Eucharistie un simple repas. Il leur rappelle la vraie tradition liturgique : Voici ce que j’ai moi-même reçu et que je vous ai transmis ; le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain et après avoir rendu grâce, il le rompit et dit : Ceci est mon Corps qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi. Ce texte de s. Paul est le plus ancien que nous ayons sur l’Eucharistie. Il est antérieur même à la rédaction des Évangiles. En ce jour de juin, notre pensée va vers tous ceux qui sont ou vont être ordonnés prêtres. Par cette ordination, ils deviennent serviteurs de la Parole, ministres de l’Eucharistie et des sacrements, et serviteurs du peuple de Dieu. Comme Pierre et Paul, ils sont appelés à être témoins de ce qu’ils prêchent. Ils participent à la mission du Christ qui est de donner Dieu au monde et le monde à Dieu. Nous connaissons la parole du curé d’Ars à un petit berger : « Tu m’as montré le chemin d’Ars, je te montrerai le chemin du ciel ». Prions pour l’Église et ses ministres. Amen