En cette veille de Noël, voici un thème de réflexion dont vous n’aurez pas trop de peine à vous souvenir. C’est un bien commun de la tradition chrétienne, mais je l’emprunte directement à un mystique allemand du 18ème siècle, Angelus Silesius. Poète, il s’est exprimé sous la forme de courtes sentences qui condensent au mieux la pensée et s’inscrivent plus facilement dans la mémoire. J’aime bien son distique sur Noël, que voici :
« Jésus aurait beau naître à Bethléem cent fois
Si ton cœur ne l’accueille il ne vient pas pour toi. »
La forme naïve ne saurait cacher la profondeur de la pensée. Jésus naissant au monde des hommes apporte avec lui un potentiel infini de renouvellement. Mais cette énergie sans pareille reste inutilisée et inefficace aussi longtemps que je ne la fais pas mienne par ma volonté libre. La nouvelle naissance ne se produit pas ailleurs que dans mon cœur. Tout, autour de moi, pourrait bien être nouveau, je reste dans mon vieillissement, usé, fatigué, aussi longtemps que je n’accepte pas de changer. Je dois entrer moi-même dans la nouveauté qu’inaugure la venue de Dieu parmi nous.
Comment puis-je le faire ?… St Paul nous a donné la réponse depuis longtemps : « Devenez les imitateurs de Dieu ! » Et les Pères de l’Eglise répètent à l’envie : « Dieu s’est fait homme afin que l’homme devienne Dieu. » La grâce que nous apporte l’Enfant-Dieu agit au plus profond de nous-mêmes pour nous transformer à son image. Mais à ce don doit correspondre aussi notre réponse. Nous avons à mener une vie digne de ce Dieu qui se donne ainsi à nous pour nous faire semblable à lui. L’image se doit d’agir d’après son modèle.
Le modèle est venu partager notre condition humaine. La réciprocité de l’échange invite donc l’image à partager la condition de Dieu. C’est l’aspect le plus clair. On ne saurait pourtant oublier que l’imitation du modèle divin invite aussi à partager la condition de l’homme. Si je veux mener une vie chrétienne digne de ce nom, je dois tenir compte de cette double dimension. Je ne puis me réfugier dans la seule dimension « verticale » avec Dieu sous peine d’en rester à l’incontrôlable d’une vie spirituelle seulement « représentée », imaginée, une vie dont on ne pourrait vérifier l’authenticité. L’amour du prochain reste en définitive le critère le plus certain de l’amour de Dieu. Mais je ne peux pas davantage en rester au seul plan « horizontal » de la rencontre de l’homme, car celle-ci n’aura sa pleine densité que dans la mesure où elle sera fondée sur Celui qui, en l’homme, passe l’homme. Le mystère de Noël est au fond celui de cette double communion poussée en Jésus à un niveau proprement inégalable.
Par la venue de Jésus, Emmanuel, Dieu-avec-nous, a été réalisée la possibilité pour l’être humain d’être avec Dieu. Et même la possibilité pour nous d’atteindre Dieu à travers l’homme. Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites. On peut donc sans peine aucune faire une application très pratique du verset d’Angelus Silesius. Accueillir mon frère, si je le fais au nom de Jésus -et même si parfois je le fais sans le savoir-, c’est aussi accueillir Jésus. Ne pourrions-nous pas alors donner à ce vers une suite qui ne le trahirait pas :
« Jésus à Bethléem n’est venu qu’une fois
Mais si ton cœur l’accueille il vient toujours pour toi. »
Amen