« Ce dimanche, appelé Laetare, du premier mot de l’Introït de la Messe, est un des plus célèbres de l’année » voilà ce qu’en dit Dom Guéranger. Du moins pourrait-on dire, il a été célèbre : il est hors de doute qu’il doit le rester…ou qu’il faut qu’il le redevienne.
Ce dimanche, en effet, entre dans le cycle des symboles propres à notre religion par au moins deux réalités qu’il met pour nous en lumière : je les nomme tout de suite, pour les présenter tout à l’heure dans un commentaire approprié : la Rose et Jérusalem.
Pour l’heure, je voudrais, avec Dom Guéranger, attirer votre attention sur ce fait que notre religion a développé, fidèle en cela au Judaïsme, la symbolique, cette véritable science des symboles qui aide puissamment à la compréhension des mystères divins et nous fait vivre de leurs richesses pour peu que nous nous y arrêtions. Or il est incontestable que nos pères dans la Foi ont vécu des symboles religieux et que nous autres, nous y sommes de plus en plus imperméables. Chez eux, « il a excité un vif enthousiasme », chez eux ils étaient parlants : il n’y a qu’à voir la profusion de symboles qui entrent dans les sculptures de nos anciennes églises romanes ou gothiques…chez nous, ils sont devenus lettre morte. « Sortons de cette indifférence qui n’est pas chrétienne, s’exclame Dom Guéranger, et revenons par la méditation de la Ste Liturgie, à ces traditions auxquelles nos aïeux empruntèrent leur foi énergique et leur sublime dévouement à Dieu et à leur postérité. »
Avant de passer en revue les symboles de ce jour, voyons les particularités de ce 4ème dimanche de Carême si spécial et si beau !
Ses particularités : les textes chantés de la Messe parlent de joie et de consolation – on peut jouer, à la Grand’messe des morceaux d’orgue, comme dans les temps hors pénitence – s’il en possède dans les réserves de son église, le prêtre peut revêtir des ornements roses, on peut remettre des fleurs aux autels, Pourquoi ? Tout simplement pour faire une détente nécessaire dans un Carême qui normalement doit être sévère et astreignant. Ainsi seront stimulés les vrais fidèles pour achever, dans une ardeur renouvelée par l’espérance, la sainte carrière de leur combat. C’est une sorte de Mi-Carême, qui ne peut toucher vraiment que ceux qui ont donc entrepris loyalement et scrupuleusement l’observance du Carême. Sinon, ce ne sera qu’une occasion de plus de relâchement.
A Rome, la station de ce jour est à Sainte Croix de Jérusalem, l’une des sept principales basiliques de la ville sainte. [A ce propos, je vous dis un mot de ce qu’on appelle « stations » ; ce mot figure en tête des messes de Carême, dans les missels complets. Depuis le 5ème siècle, il était d’usage à Rome, pour certaines
grandes fêtes et tous les jours du Carême, que le Pape se rendît en une église différente afin d’y célébrer la messe. Une procession s’organisait qui traversait le quartier de la ville où était située l’église et là on écoutait d’abord des passages de la Sainte Ecriture dont le choix se trouvait souvent en rapport avec les souvenirs attachés à ce lieu de culte, ou avec le saint qui en était le patron, le titulaire. Plus tard, si le Pape ne participa plus à la procession, l’on continua cependant à fréquenter les églises stationales où les offices étaient assurés par d’autres dignitaires.]
L’église stationale de ce dimanche porte donc le nom de Sainte Croix en Jérusalem. Ce titre indique clairement qu’on en a fait comme une réduction de Jérusalem à Rome. Cette église date de Constantin qui la fit élever dans la villa (c’est-à-dire une dépendance campagnarde) de Sessorius : c’est là que la mère de l’empereur, Sainte Hélène, voulut déposer les précieuses reliques qu’elle avait rapportées de Jérusalem, reliques de la Passion du Sauveur : entre autres une forte quantité de terre relevée sur le Calvaire, une portion notable de la Croix et le titre même de la Croix, c’est-à-dire la planchette portant l’inscription en 3 langues « Jésus de Nazareth, Roi des Juifs », titre qu’on peut toujours y voir et vénérer.
C’est dans ce sanctuaire que se déroulait la célèbre cérémonie de la Rose d’or. On en trouve mention dès le pontificat du Pape St Léon IX, originaire d’Alsace…et qui fut un grand Pontife. Nous savons que la rose (la reine des fleurs, parce que la plus gracieuse) a été prise comme symbole de joie spirituelle. Il convenait donc qu’elle fût la fleur de cette journée annonciatrice des joies pascales. Chaque année, le Souverain Pontife bénit encore une rose d’or, ointe de St Chrême, et saupoudrée d’une poudre parfumée. Cette rose est ensuite envoyée à un personnage ou à une ville ou à un sanctuaire que le Pape veut honorer.
Dans la bénédiction de la Rose il est fait allusion à la joie qui doit saisir le peuple chrétien arraché, comme les Juifs de jadis, au joug de la captivité de Babylone pour revenir à la Jérusalem qui est notre mère. On ne sera donc pas étonné de voir multipliées les allusions à la Ville Sainte, dans la messe de ce jour. « Laetare Jerusalem : réjouis-toi, Jérusalem ! » texte tiré du prophète Isaïe.
Le psaume 121 tout à la louange de la Sainte Cité y est largement employé. Il faut dire, en effet, que dans toute la tradition chrétienne, Jérusalem est une figure et de l’Eglise de la terre et de la Cité céleste. Ce psaume 121, cantique de pèlerinage, devient donc le chant de ceux sont en marche vers la Jérusalem d’En-Haut, vers la Patrie du ciel.
« Si, comme le commente longuement St Robert Bellarmin, les prophètes, particulièrement Daniel, Aggée et Zacharie qui vécurent au temps même où finit la captivité des Hébreux, si ces prophètes remplirent le peuple d’une grande joie quand ils s’écrièrent : nous allons retourner dans la patrie où il nous sera donné de voir la montagne de Sion et le lieu de la maison du Seigneur…Jésus-Christ fut un bien plus heureux messager, lui qui nous dit dans l’Evangile : Faites pénitence : car le Royaume des cieux va approcher ; et plus clairement encore dans St Jean : Dans le maison de mon Père, les demeures sont nombreuses…je vais vous préparer la place. Ce divin messager a rempli de joie ceux qui savent combien il est bon d’aller dans la maison du Seigneur, et de n’être dans cette maison ni un hôte, ni un étranger, mais concitoyen des saints et serviteur de Dieu…L’homme charnel, au contraire, ne perçoit pas les choses de Dieu et à l’approche de la mort, c’est-à-dire lorsque finit son exil et son voyage, il est loin de se réjouir, il se trouble, il gémit, et avec raison, puisque n’ayant pas réglé pendant sa vie les aspirations célestes de son cœur, il ne peut espérer monter vers la maison du Seigneur, et craint de descendre, pour y être puni éternellement, au fond de la prison des malheureux damnés ».
Ainsi terminerons-nous sur les paroles d’un saint, reprenant avec elles un nouveau courage pour continuer notre route de Carême sans perdre de vue son véritable but : sortir une fois de plus, cette année que Dieu nous donne, de la servitude de nos péchés, mais encore nous rapprocher de la patrie céleste, à la fois :
-royaume, si vous considérez la multitude et la diversité de ses habitants
-cité, si vous considérez les liens de société qui unissent les saints ses habitants
-maison, si vous considérez les élus comme les enfants d’un même Père, les héritiers d’un même héritage.
Souhaitons-nous cet heureux partage ! Amen