Chacun sait que le Carême représente la période de pénitence qui précède la fête de Pâques. Le mot Carême vient de QUADRAGESIME « quarantième » qui désigne toujours le 1er dimanche de Carême lequel arrive dans la quatrième dizaine des jours précédant Pâques. C’était d’ailleurs à partir de ce dimanche que durant les premiers siècles on débutait l’observance du Carême.
« Il y a, dit, au VIè siècle, St Grégoire le Grand dans une de ses homélies, six semaines du premier dimanche de Carême à Pâques, ce qui donne quarante-deux jours. Comme on ne jeûne pas ces six dimanches, il en résulte qu’il n’y a que trente-six jours de jeûne ; ainsi nous donnons à Dieu la dîme de l’année (365 jours) »
C’est d’ailleurs cette particularité d’un Carême dont le jeûne ne durait que 36 jours qui fit décider d’en avancer le début au mercredi précédent (lequel prit le nom de ‘in capite jejunii’) afin que fût complété le nombre de 40 jours effectifs de jeûne pour s’unir au jeûne du Christ dans le désert. Car évidemment c’est bien Notre-Seigneur lui-même qui a ‘inauguré’ le Carême par son exemple. Et les Apôtres statuèrent eux-mêmes (cela est attesté par les grands docteurs de l’Eglise) que la solennité de la Pâque serait précédée d’un jeûne universel.
Un Jeûne, le jeûne ! Voilà la pénitence propre au Carême. Nous en douterions-nous encore maintenant ? Cherchons à avoir quelques notions claires en ce domaine. « Le jeûne est une abstinence volontaire que l’homme s’impose en expiation de ses péchés et qui, durant le Carême, s’accomplit en vertu d’une loi générale de l’Eglise ». Voilà ce qu’écrit Dom Guéranger.
Puisque pour le moment nous faisons l’historique du Carême, voyons aussi l’histoire du jeûne à travers le Carême. Il fut d’abord très strict : – strict quant à l’usage des aliments : abstinence complète de la chair des animaux et même de ce découlait d’eux, le lait et les œufs, le beurre, la graisse. St Cyrille de Jérusalem nous apprend aussi que le vin était prohibé (il est à remarquer que ce point fut le premier qui céda !) – strict quant au moment où l’on prenant ses aliments : une seule fois par jour après le coucher du soleil.
Or ce fut d’abord sur cette heure du repas que la discipline du Carême tendit progressivement à plus de facilité. Au IXè s, on trouve déjà trace de l’habitude de prendre l’unique repas du jour à l’heure de l’office divin appelée None (neuvième heure, selon l’usage romain de la division du jour=3h de l’après-midi pour nous). D’adoucissement en adoucissement, pour ne pas rompre l’habitude de prendre le repas à l’heure de None, on finit par anticiper celle-ci en disant l’office correspondant avant midi (ainsi d’ailleurs que l’office de Vêpres qui suit celui de None) tant et si bien que prévalut la coutume de prendre son repas à midi. Mais on en était toujours à l’unique repas du jour.
En raison du long intervalle qui s’écoule d’un midi à l’autre, on allait venir au secours de la faiblesse humaine et se conformer à un usage qui, chose étonnante, venait de chez les moines. Il faut dire qu’eux ne l’appliquaient pas au jeûne du Carême, mais à d’autres jeûnes en cours d’année. A ce moment-là, les Abbés des monastères accordaient à leurs religieux la liberté de boire sur le soir, un coup de vin avant les Complies (prière du soir). Ce petit soulagement se prenait en commun, au moment où l’on faisait la lecture du soir appelée ‘conférence’ en latin ‘Collatio’, parce qu’elle consistait principalement à lire les célèbres ‘conférences’ (Collationes) de Jean Cassien, un célèbre moine du 4ème siècle, né en Orient, et qui fonda chez nous, à Marseille l’illustre abbaye de Saint Victor.
Ainsi vous connaissez maintenant l’origine de ce mot Collation qui s’applique au petit goûter du milieu de l’après-midi … car on remarqua dans la suite que l’usage de la boisson seule pouvait avoir quelque inconvénient pour la santé si l’on n’y joignait un léger morceau de pain.
Pour en revenir au Carême, l’usage monastique de la Collation s’introduisit dans le peuple chrétien durant la Sainte Quarantaine, se traduisant par la prise d’une boisson accompagnée de pain, de salades, de fruits : toutes choses légères et mangées avec modération.
Quant aux nourritures du repas de midi, si l’on s’abstint toujours de la viande elle-même (le poisson n’étant pas considéré comme une chair), au cours des siècles on vit s’introduire des dispenses sinon générales au moins locales ou pour certains jours du beurre, du lait, du fromage, beaucoup plus rarement des œufs.
Que reste-t-il du jeûne quadragésimal ? 2jours= Mercredi des Cendres et Vendredi-Saint ; et 6jours d’abstention de viande les vendredis !
Il est hors de doute que les trop grandes facilités de notre temps ont émoussé le sens et la pratique de la pénitence corporelle à des fins religieuses. Ne manquons pas d’envisager un Carême vrai, sérieux, dans lequel le jeûne aura sa place : faisons nôtres les paroles d’une de ces strophes par lesquelles l’Eglise grecque fait à son peuple l’annonce du Carême : « Livrons-nous au jeûne d’une âme joyeuse, ô peuples : car voici le commencement des combats spirituels ; rejetons la mollesse de la chair, accroissons les dons de l’âme. Comme serviteurs du Christ, souffrons avec lui, afin d’être avec lui glorifiés comme des enfants de Dieu, et l’Esprit-Saint faisant en nous sa demeure illuminera nos âmes. » Amen