La tempête sur la mer : Demandons-nous, d’abord, ce que cet Évangile signifie. Qu’est-ce qui a déterminé l’antique liturgie à choisir ce passage pour le dimanche que nous célébrons aujourd’hui ?
a) y a-t-il dans l’apaisement de la tempête une « manifestation » du Seigneur ? Si le 2ème dimanche après l’Epiphanie, l’Église nous a présenté le miracle des noces pour nous montrer la gloire du Christ, c’est-à-dire sa divinité, le miracle d’aujourd’hui n’est pas moins propre à cette fin. Représentons-le-nous. C’est la nuit. Les douze hommes rament. Soudain s’élève une tempête furieuse. Ces marins expérimentés connaissent sans doute la perfidie de la mer, mais cette fois, ils sont désemparés. Ils réveillent le Maître endormi. Jésus se lève, avec majesté et calme, il commande aux éléments en fureur et ceux-ci lui obéissent comme des chiens qui se couchent aux pieds de leur maître. Cette vision du Seigneur commandant avec puissance, les disciples ne l’oublieront pas de leur vie. C’était donc bien une « manifestation » du Seigneur. — Mais était-ce bien l’intention de l’Église de nous montrer cette manifestation ?
b) Ou bien l’Église voulait-elle représenter dans cette tempête les persécutions et les combats auxquels elle est elle-même en butte ? La barque de Pierre a toujours été considérée comme une image de l’Église du Christ. Comme le petit bateau, l’Église est, de tout temps, ballottée par la tempête, mais « les portes de l’enfer n’ont pas prévalu contre elle ». On a sans cesse vu, au cours des siècles, le Seigneur, qui semblait endormi, se lever, commander aux vagues et à la tempête et faire apparaître le calme et la paix.
c) Ou bien pensons-nous à l’âme chrétienne en particulier ? Elle aussi est un petit bateau exposé à la rage du vent et des flots. Quel cœur chrétien est à l’abri des combats extérieurs et intérieurs ? Ce sont des afflictions de toutes sortes, des tentations, des souffrances, des persécutions. L’enfer conspire sans cesse contre le royaume de Dieu dans l’âme. L’Église pense-t-elle à ces tempêtes ? L’oraison du jour pourrait nous le faire croire, c’est une explication de l’Évangile.
L’ermite saint Antoine avait été violemment tenté par le démon, mais avait résisté courageusement. Il vit enfin briller une lumière et demanda : « (Où étais-tu, Seigneur ? » Une voix lui répondit : « J’étais là, Antoine, mais j’attendais pour voir ton combat ; puisque tu as courageusement résisté, je serai toujours ton aide. » Que cela soit une consolation pour nous, combattons vaillamment et, en temps voulu, le Christ viendra et commandera à la tempête.
d) Pourtant l’Église a peut-être voulu nous faire entendre les premiers accents du drame de la Passion. La pensée fondamentale du cycle de Noël était celle-ci : Le Christ a fondé sur la terre le royaume de lumière. Maintenant l’Église nous prépare au cycle pascal, dans lequel nous verrons d’abord la lumière combattue par les ténèbres. Cet accent de la Passion se fait déjà entendre légèrement à travers le temps de Noël, aujourd’hui il retentit dans le mugissement des flots en fureur. Nous ne tarderons plus guère à voir le Sauveur environné des flots de la douleur, il sera englouti par eux, mais il sortira vainqueur.
e) C’est peut-être cette dernière pensée qui nous rapproche le plus de l’intention de la liturgie. L’Évangile est une image du combat et de la victoire pascale du Christ. Chaque dimanche est un dimanche de Pâques. Chaque dimanche nous célébrons la mort et la résurrection du Christ en nous-mêmes. Alors même que, pendant la semaine, nous aurions été ballottés par la tempête et les flots, à la messe du dimanche le Seigneur monte à bord de la nacelle, il commande à la tempête et achève la victoire de sa Résurrection. Chaque dimanche notre âme s’approprie quelque chose de cette victoire pascale. Ainsi chaque dimanche est un anneau de la grande chaîne qui va du Baptême jusqu’au dernier combat et à la victoire finale.
La vie chrétienne est une tempête sur la mer. Comme le bon Dieu traite parfois rudement ses enfants ! C’est qu’il n’est pas comme ces mères déraisonnables dont la tendresse consiste à caresser et à gâter leurs enfants. Il est le premier à appliquer le principe de la Sainte Écriture : Celui qui aime son enfant n’épargne pas la verge. Et c’est pour notre bien. Les enfants de Dieu supportent mal les jours heureux ici-bas. L’histoire de l’Église et l’histoire particulière des âmes le prouvent. Comme l’Église était grande au temps des persécutions ! Les chrétiens détestés, persécutés, méprisés extérieurement, étaient, parfaits et saints. Mais, au moyen âge, quand l’Église brilla de son plus grand éclat et que les empereurs et les rois la dotèrent de biens terrestres, la lumière intérieure pâlit de plus en plus. Oui, il est bon pour nous, chrétiens, que notre situation extérieure ne soit pas trop bonne. Il est vrai que nous avons besoin de ce que le Sauveur exigea de ses disciples pendant la tempête sur le lac : une foi forte et une ferme confiance en Dieu. « Pourquoi avez-vous si peu de foi ? » La grande souffrance, les grandes épreuves, la grande misère peuvent être un remède, mais aussi un poison. Certains trouvent dans les souffrances, de nos Jours, le chemin qui mène à Dieu ; mais, pour beaucoup, la crise économique est un poison qui apporte la mort de l’âme. Priez, mes frères, pour tous ceux qui sont éprouvés, afin que leur misère et leur souffrance les purifient et les sanctifient. Aimons à penser surtout et souvent à ceux qui sont, comme nous, membres du corps du Christ et qui sont en butte à la tempête sur la mer. Voyons tel enfant de Dieu, qui est, à cause de sa foi, condamné aux travaux forcés. Jour après jour, sans dimanche, sans messe, sans communion, il lui faut abattre des arbres ; il est à peine vêtu, mal nourri et, sous le fouet des soldats, il s’avance peu à peu vers la mort. Combien de fois ces pauvres gens doivent crier vers le ciel : « Seigneur, sauvez-nous, nous périssons. » Pour ces pauvres, qui sont en même temps des riches, nous devons prier, afin qu’ils demeurent forts, afin qu’ils soient vainqueurs. Car leur souffrance nous profite à tous. Ils accomplissent et achèvent ce qui manque au corps du Christ. Mais ce n’est pas seulement dans ces pays où sévit la persécution. Chez nous, dans notre entourage, il y a des « tempêtes sur la mer », il y a la misère et les autres souffrances qui anéantissent. Portons secours là où nous le pouvons. Amen