La Bible nous dépeint Adam se cachant au plus creux du jardin d’Eden après sa faute. Alors que le Seigneur passait à la brise du soir, il dût l’appeler…Ainsi nous est suggéré d’une façon simple mais combien réaliste la honte du fils qui a failli à l’ordre de son père…il ne tient plus à le rencontrer, il le fuit. Mais quelle vaine pensée ! Peut-on jamais fuir le regard de Dieu ? Cependant nous dit l’excellent commentateur que fut Dom Calmet « Dieu cherche Adam, comme s’il ne savait pas où il est. Il veut lui donner une occasion de reconnaître sa faute. »
Dans notre petite suite de considérations sur le péché originel pour nous faire préparer la fête de Noël, nous aurons avantage aujourd’hui à nous arrêter sur la gravité de la faute de notre premier père. « Le Seigneur Dieu donna à l’homme cet ordre : Tu peux manger de tous les arbres du jardin ; mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras certainement. »
Sans doute chacun de vous connait-il par cœur ce passage du livre de la Genèse. Nous l’avons retenu tel quel, il nous avait frappé au temps de notre enfance ! Et puis peut-être quelques-uns, ébranlés par des considérations et des déclarations ou mal comprises ou maladroites (sinon parfois malveillantes) certains, dis-je, ont laissé tomber ce remarquable récit et l’ont négligé, ou remisé dans le tas des vieilles légendes de leur enfance. Que tous nous entendions, en ce moment, cet avertissement lucide et rassurant : « La manière dont Moïse raconte cette histoire de la chute est tout à fait particulière. Il se sert d’expressions figurées et énigmatiques (au sens propre : figures et énigmes) et il cache sous une espèce de parabole le récit d’une chose très réelle et d’une histoire la plus sérieuse et la plus importante qui fut jamais. » (Dom Calmet). Ainsi donc, n’allons point penser que ces premiers chapitres du Saint Livre seraient une sorte de fiction inconsistante. Ils rapportent des évènements tout ce qu’il y a de plus réels, tout ce qu’il y a de plus historiques, de plus effectivement arrivés, de plus incontestablement survenus à un moment du temps et dans un lieu de la terre, sinon toutes les formulations de notre foi tournent court. Bien sûr, la Genèse, avec l’inspiration du Saint-Esprit, l’a mis en scène dans un récit en quelque manière poétique, mais le concile de Trente, assisté par le même Saint-Esprit, et s’appuyant sur le texte de l’Apôtre St Paul, l’a défini en termes abstraits, de sorte que nous savons très bien ce qui s’est passé !
L’état de justice originelle ne devait être conservé et transmis qu’à une condition expresse : persévérer dans la grâce de Dieu et obéir à son commandement. Dieu soumit nos premiers parents à une épreuve et leur imposa un précepte, un précepte non purement intérieur mais adapté à leur nature composée de spirituel et de sensible = ce que signifie cet arbre, appelé à bon droit du bien et du mal : puisque manger de son fruit les faisait connaître le mal qu’ils ignoraient encore, eux qui étaient établis dans l’unique bien.
Egarés par le démon, Adam et Eve se portèrent à un tel excès d’orgueil qu’ils prétendirent se faire par eux-mêmes juges et arbitres du bien et du mal, indépendamment de toute autorité divine.
Le voilà donc cet arbre mystérieux que l’on a d’une manière trop simpliste et parfois même ridicule et incongrue affublée d’une pomme ! Le mot latin ‘poma’ signifie fruit en général. En fait c’était un fruit de mort, comme toute rébellion en fait cueillir aux arbres empoisonnés disposés le long de notre route terrestre.
Etait-ce un arbre réel ? La liturgie si parlante de la Passion et des Jours Saints oppose sans cesse l’arbre par le bois duquel Satan a jadis triomphé à celui par lequel le Christ le vaincra c’est-à-dire l’arbre de sa Croix : ainsi dit la préface de la Croix « vous avez placé, Seigneur, le salut du genre humain dans le bois de la Croix pour faire jaillir la vie, là même où la mort avait pris naissance. »
Car c’est bien le drame. La mort plane à partir de ce jour sur tous les hommes. La mort corporelle avec ses préliminaires, la maladie, la fatigue, le déclin des forces. La mort spirituelle par la perte de l’état de grâce, cette participation, incompréhensible et sans fin admirable, à la sainteté de Dieu. Tout est perdu ! Une déchéance incalculable dont nous ne pouvions plus jamais nous relever. Car rien ne subsistant en Adam des dons de Dieu, il demeure dans l’impossibilité absolue de nous transmettre quoi que ce soit de surnaturel. Il ne nous livrera que du naturel et encore du naturel de basse qualité, du naturel blessé, flétri, disons dénaturé.
Comprenons bien cependant ; ce n’est pas comme péché personnel d’orgueil commis par Adam que le péché originel est transmis, mais selon le détournement de la volonté et la séparation de Dieu qui faisait corps nécessairement avec ce péché d’orgueil.
C’est Adam et Eve qui, seuls, ont voulu faire les dieux et ont enfreint le précepte de Dieu – Cependant la conséquence, l’état de séparation de Dieu qui était impliqué dans ce péché d’orgueil affectait une fois pour toutes la nature elle-même et devait se transmettre avec la nature elle-même et par le même moyen, par la génération.
Je termine forcément sur cette tragique constatation ; c’est de là que nous repartirons dimanche prochain pour retrouver l’espérance, espérance invincible : déjà marquée dans l’antienne de la communion de ce jour « Prenez courage : voici notre Dieu qui vient et il nous sauvera. »
Mais comprenons à quel point nous avons besoin de faire nôtres les soupirs de l’Avent, à quel point nous touchons la misère et l’impuissance pour pouvoir et devoir crier : « Venez, Seigneur, et ne tardez pas ! » Amen.