Sermon donné par Monsieur l’Abbé Charles Berger de Gallardo (FSSP)
le 7 août en l’église Saint André des Cordeliers à Gap.
Jésus pleure sur Jérusalem.
C’est un honneur et une joie pour moi de célébrer la messe de ce 9ème dimanche après la Pentecôte à l’église des Cordeliers pour la Communauté Saint Pie V de Gap. Soyez assurés de ma gratitude pour votre accueil.
« Jésus, s’étant approché de Jérusalem, voyant la ville, pleura sur elle … ».
Jésus a pleuré deux fois. Il a pleuré sur Lazare. Il a pleuré sur Jérusalem. A Béthanie, il pleure la mort d’un ami ; au Mont des Oliviers, il pleure la destruction annoncée d’une ville. Il a ressuscité Lazare ; mais il n’a pas voulu empêcher la destruction de Jérusalem. La prophétie s’accomplira en effet, en 70, lorsque les armées de Titus s’empareront de la ville et en détruiront le Temple. Ce ne sera pas la première fois, ni la dernière d’ailleurs, que Jérusalem tombera, mais il faut remarquer que le Temple, lui, ne sera jamais relevé. Ce point est capital car il nous livre le motif des larmes que Notre-Seigneur a versées sur la ville et, à travers elle, nous introduit à la contemplation du mystère de l’Incarnation rédemptrice.
Rappelons-nous que le Temple de Jérusalem était le lieu, le seul, où l’on pouvait offrir à Dieu des sacrifices. Il suffit d’ouvrir les Livres des Rois, pour se rendre compte de l’importance de cette exclusivité, qui constituait d’ailleurs le cœur des différends entre les Juifs – qui sacrifiaient au Temple de Jérusalem – et les Samaritains, qui sacrifiaient sur le Mont Garizim. Or ce Temple va être détruit : qu’est-ce que cela signifie quant au sacrifice ?
Le sacrifice est le moyen par excellence pour l’homme d’adorer Dieu. Par le sacrifice, il offre un bien qui est à sa portée afin de manifester visiblement qu’il dépend totalement de Dieu. Par un sacrifice visible, il manifeste ainsi un sacrifice invisible : le sacrifice de lui-même à Dieu. Sacrifice – en latin : sacrum facere – c’est, littéralement « faire le sacré ». Ce qui est rendu sacré, c’est d’abord la victime, ce bien que l’homme retire de son usage, généralement par une combustion, pour l’offrir à Dieu seul, mais c’est également celui qui offre le sacrifice – puisque par ce moyen, il entre en communion avec Dieu.
Or, depuis le péché originel, l’homme est radicalement détourné de Dieu, puisqu’il a refusé de Lui obéir et de Le servir. Dans ces conditions, le sacrifice que l’homme veut offrir n’est plus reçu par Dieu. En effet, il est censé exprimer la dépendance totale vis-à-vis du Créateur, mais en réalité, l’homme pécheur refuse cette dépendance. Le sacrifice qu’offre l’homme pécheur ne correspond donc pas à la réalité. Dieu n’accepte plus le sacrifice, l’homme ne peut plus rejoindre Dieu ni s’unir à Lui. Pour cela il faudrait que soit d’abord réparée la fracture introduite par le péché. L’homme pécheur en est bien incapable ; il est suspendu à l’initiative divine.
C’est pour marquer cette dépendance radicale de l’homme pécheur envers l’initiative miséricordieuse de Dieu que les prescriptions cultuelles de l’ancienne alliance étaient si contraignantes et impliquaient, en particulier, l’exclusivité du Temple de Jérusalem. Que les prêtres dévient d’un pas des instructions divines, que le cœur du peuple oublie un seul instant l’œuvre qui s’accomplit, la triste réalité de leur condition ressurgit :
« Je ne prends nul plaisir en vous, dit le Seigneur, et je n’agrée point les offrandes de vos mains » (Ml 1,10).
Les sacrifices que les Juifs offraient au Temple n’étaient pas agréés en raison de leur valeur propre ni de celle des offrants, mais par pure miséricorde. Ce culte précaire ne devait pas durer toujours. Le Temple devait être détruit.
Pour nous sauver, en effet, Dieu a choisi de racheter le sacrifice, c’est-à-dire de nous rendre à nouveau capables d’offrir un sacrifice digne de Lui, un sacrifice qui puisse à la fois réparer la fracture du péché et rendre à Dieu l’adoration qui Lui est due.
C’est pour cela que le Verbe, la deuxième personne de la Trinité, s’est incarné. En effet, étant homme, Jésus peut offrir un sacrifice à Dieu ; étant Dieu, Il confère à son sacrifice une valeur infinie, de réparation et d’adoration.
S’approchant de Jérusalem, quelques jours avant sa Passion, Notre-Seigneur a donc pitié du sacrifice, Il a pitié de l’état dans lequel se trouvait le sacrifice – état précaire en lui-même, déshonoré qui plus est par les hommes qui l’offraient.
« Ma maison est une maison de prière, mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs. »
C’est pourquoi Jésus pleure.
En mourant sur la Croix, le Vendredi Saint, Jésus Christ est à la fois le prêtre et la victime d’un sacrifice qui réunit enfin l’homme à Dieu, et rend à Dieu l’honneur qui lui est dû. Il nous a ainsi rachetés : en effet, par la Messe, qui actualise, rend présent, renouvelle le sacrifice de la Croix, nous pouvons offrir un sacrifice qui plaît à Dieu, sacrifice de propitiation (ce qui veut dire de réparation pour nos péchés), d’adoration, d’action de grâces et d’intercession.
Les larmes de Notre-Seigneur nous rappellent que le péché d’Adam, en quelque manière, a consisté à refuser à Dieu le sacrifice qui Lui était dû et qu’Il avait demandé. Elles nous rappellent également que, dans son amour miséricordieux, Dieu n’a pas abandonné l’homme à son péché : Il est venu Lui-même s’offrir en sacrifice pour nous racheter, pour « racheter » le sacrifice, pour nous permettre à nouveau de L’aimer, de L’honorer et de Le servir – et ceci d’une manière plus admirable qu’au paradis originel, puisque le sacrifice que le prêtre offre à l’autel et auquel les chrétiens s’associent, n’est plus l’offrande d’un bien de la nature, mais l’offrande du Fils de Dieu Lui-même. Ainsi s’accomplit la prophétie de Malachie :
« Du Levant au Couchant, mon Nom est grand chez les nations, et en tout lieu un sacrifice d’encens est présenté à mon Nom ainsi qu’une offrande pure » (Ml 1, 11).