En ce jour de fête de la Sainte Famille, il est doux pour nous de rappeler la petite maison de Nazareth et l’humble existence qu’on y mène ; il est doux de célébrer la vie obscure de Jésus. Là l’Enfant divin fait l’apprentissage de l’humble métier de Joseph, là, dans l’ombre, il grandit en âge et se montre heureux de partager les travaux du charpentier…Dans cette humble maison de Nazareth, Jésus, Marie et Joseph sanctifièrent la vie de famille par l’exercice des vertus domestiques. Ils y pratiquèrent l’humilité, la patience, la modération, l’entr’aide mutuelle, la charité, le respect et l’obéissance dont nous parlent l’épître et l’évangile de la messe.
Quand on a eu la chance de naître et de grandir dans une famille à peu près normale, où les parents s’aimaient entre eux, aimaient leurs enfants et s’en occupaient bien, on a tendance à garder du foyer familial une vision idéalisée. On y voit le lieu béni de nos racines, le cœur de nos affections et de nos tendresses, le centre premier de notre situation dans l’univers. La Sainte Famille apparaît alors comme la réalisation concrète de cet idéal, à un niveau inaccessible certes au commun des mortels, mais comme une vision harmonieuse de joie et de paix dans laquelle on peut trouver des raisons d’espoir et de réconfort quand les choses vont moins bien.
Vous êtes aussi bien – et sans doute même mieux – placés que moi pour savoir ce que représente la famille et sa réalisation quotidienne pour un nombre toujours croissant de nos contemporains. Au lieu d’entente harmonieuse, c’est souvent dispute ou tromperie. Au lieu d’union durable, désunion, séparation, divorce… Le simple fait qu’on soit obligé de créer des mots nouveaux pour qualifier certaines situations (familles monoparentales, homophiles ou autres) en dit long sur la fréquence de ces situations… Loin de moi de critiquer ici qui que ce soit. D’autant plus que cet état de fait est plus souvent subi que voulu ! Mais chacun peut le constater, la famille n’est plus le havre de stabilité qu’elle a pu être jadis et beaucoup d’enfants n’ont plus les mêmes ressources d’enracinement et d’identification psychologique auxquelles ils ont pourtant droit. Il est probable que cette lacune sera, plus tard, perçue par les historiens de la civilisation comme une des caractéristiques les plus redoutables de notre temps.
Dans ce contexte, il est donc hautement significatif que l’Eglise nous remette sous les yeux le mystère de la Sainte Famille comme étant effectivement le lieu exemplaire de réalisation d’une cellule familiale d’exceptionnelle qualité. Toutefois, ce serait trop restreindre la portée de cette fête que de la célébrer seulement comme une exhortation de type moral, une simple invitation à la fidélité conjugale, au respect mutuel ou à la soumission des enfants envers leurs parents. C’est tout cela bien sûr, mais dans l’histoire du salut, dans le plan de la Providence sur le monde, la famille représente bien davantage que ces réalisations plus ou moins réussies d’où nous venons, que nous côtoyons ou rencontrons tous les jours.
Dès l’origine, le premier couple humain résume en soi toute la famille humaine. Penser « famille », c’est donc aussi penser à tous nos frères et sœurs qui vivent à la surface du globe et dont Dieu est l’unique Père. De toujours à toujours les commentateurs de l’Ecriture ont aimé souligner que si Jésus nous apprend à dire « Notre Père » – et pas seulement « Père » ou « Mon Père » – dans notre prière quotidienne, c’est justement pour signifier cette unité de la grande famille humaine. Du même coup on met ainsi en évidence les liens que nous avons avec toutes les personnes humaines, filles et fils de Dieu à titre égal.
Plus profondément encore, le premier couple humain est l’image, par son union, du rassemblement dans l’amour de tous les baptisés, que nous appelons l’Eglise. Le texte de St Paul nous est bien connu, qui dit du mariage : « Ce sacrement est grand. Je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Eglise. » L’Eglise du Christ a été préfigurée dès l’origine dans l’union de l’homme et de la femme et dans leur postérité. D’ailleurs, c’est encore un lieu commun de la prédication de tous les temps que de considérer la famille comme une « petite Eglise », à l’image de la grande communion ecclésiale. Il faut même aller plus loin : l’union des enfants de Dieu dans la foi et l’amour du Christ est en quelque sorte un reflet de la communion trinitaire. L’être humain ne se trouve et ne se réalise vraiment que dans la communion des personnes, car il est à l’image de Dieu qui est lui-même communion de personnes.
Il y a fort à faire pour que la réalité de nos familles corresponde tant soit peu à cet idéal. De fait, il n’est réalisable que par la grâce. Mais c’est bien aujourd’hui le moment d’implorer cette grâce. Pour toutes les familles du monde entier ! Amen
Le Père Pecha