Le temps de la Septuagésime commence la 9ème semaine avant Pâques. Il comprend 3 dimanches appelés de la Septuagésime, de la Sexagésime, de la Quinquagésime : que signifient ces mots ?
Ils sont tirés du latin lequel les emploie comme adjectifs numéraux ordinaux signifiant 70è, 60è, 50è. Pour comprendre cette numérotation, il faut se rappeler que le Carême auquel prépare ce temps dure 40 jours (donc 4 dizaines de jours) à partir du 1er dimanche qui porte le nom de Quadragésime. En remontant les semaines précédentes, on remarque que nos trois dimanches tombent dans la 5ème dizaine, dans la 6ème, dans la 7ème dizaine des jours qui précèdent la solennité.
Il semble que l’institution de ce temps soit le fait de l’Eglise grecque. La coutume de cette Eglise étant de ne pas jeûner le samedi, comme les dimanches de Carême étaient eux-mêmes exempts de jeûne, les Grecs anticipèrent donc le jeûne du Carême de quelques jours…ce qui leur fit décider d’annoncer solennellement le jeûne quadragésimal ce dimanche que nous appelons maintenant Septuagésime. L’Eglise romaine allait adopter l’usage de prévenir par trois semaines entières le Saint Temps du Carême, non pour des raisons de jeûne, mais pour servir de transition à l’âme qui doit passer des joies du Temps de Noël aux austères pénitences du Carême.
Notre soif de bonheur, nous en faisons l’expérience, nous entraîne à prolonger les moments de joie, de détente. Dans notre année liturgique, le temps de Noël nous apporte la douceur de vivre, la paix, la détente ; on entend longtemps résonner l’annonce des anges « une grande joie qui sera pour tout le peuple…et la paix aux hommes de bonne volonté » et devant le petit enfant-Dieu, on ne songe plus à se torturer l’esprit, on n’a pas envie de faire du bruit…Mais pourtant ce sont pour de durs combats que cet enfant est venu, et il faudra les entreprendre avec Lui et pour Lui. Le temps de la Septuagésime va nous ramener à cette réalité mortelle pour le Sauveur et mortifiante pour nous.
Sachons qu’il y a plus de onze cents ans que cette période de l’année liturgique existe. Dom Guéranger en la présentant s’exprime ainsi « cesser de suivre l’Eglise au Temps de la Septuagésime, ce serait briser le cycle dont cette période forme une part essentielle » ; alors pourquoi a-t-il fallu que ce soit une des décisions des réformateurs de la Liturgie de supprimer le temps de la Septuagésime : n’est-ce pas pour rendre une fois de plus, comme en la contraignant, l’Eglise infidèle à elle-même, se déjugeant, s’appauvrissant, s’engourdissant dans la tiédeur !…En attendant de meilleurs temps…nous gardons et nous vivrons celui de la Septuagésime.
On y reprend les ornements violets ; on y interrompt le chant du Gloria in excelsis ; l’antienne Alma Redemptoris Mater devient Ave Regina coelorum ; mais ce qui est le plus remarquable de ce temps de la Septuagésime c’est la perte soudaine que nous faisons de l’Alleluia ! « L’Eglise nous sèvre du divin Alléluia, ce chant du Ciel qui nous associait aux concerts des anges…l’Emmanuel, le divin réconciliateur de Dieu et des hommes, nous l’a apporté du ciel, au milieu des joies de sa Naissance et nous avons osé le répéter : nous le redirons même encore avec un nouvel enthousiasme, dans l’allégresse de sa Résurrection ; mais pour chanter dignement l’Alleluia, il faut aspirer au séjour d’où il est venu…Durant ces jours, il nous faut sentir la dureté de notre exil…En nous enlevant le cri de l’allégresse, l’Eglise nous dit que nos lèvres ont besoin d’être purifiées avant d’être admises à prononcer de nouveau les paroles des Anges et des Saints. »
Dom Guéranger ajoutait aussi : « l’insouciance pour les formes liturgiques, qui est l’indice le plus sensible de l’affaiblissement de la foi dans une chrétienté, et qui règne si universellement autour de nous, est cause que beaucoup de chrétiens, de ceux mêmes qui fréquentent l’Eglise et les sacrements, vivent chaque année, sans être émus, cette suspension de l’Alleluia »
C’est aux Vêpres du samedi veille de la Septuagésime que se fait l’adieu à l’Alleluia. Il est bien réduit : on se contente de faire suivre le chant du Benedicamus Domino et du Deo Gratias d’un double Alleluia !
Jadis on s’adressait à lui comme à une personne vivante et les chants composés en son honneur lui apportaient des souhaits de bonne route comme à un ami cher qui s’en va, et dont, désormais, on attendra impatiemment le retour. Voici un extrait de l’un de ces chants : « Que le bon ange du Seigneur t’accompagne : Alleluia, qu’il rende ton voyage bon afin que tu reviennes à nous avec joie. Alleluia, alleluia. Alleluia ! reste encore avec nous aujourd’hui et demain tu partiras, Alleluia ! et quand le jour se lèvera, tu te mettras en route, Alleluia, alleluia, alleluia. »
Qu’aucune de ces choses ne nous paraisse ni puérile, ni sentimentale, ni inutile, ni dépassée. Nous sommes dans un monde orgueilleux et dur, un monde de luxure et de profits matériels : l’œuvre de Dieu est dans l’humilité et la douceur, dans la pureté du cœur et dans la richesse de la prière et de l’amour divin.
Alors que notre premier père Adam (dont le souvenir plane en l’office divin de ce jour) faisait la triste expérience d’un monde où l’homme serait son propre dieu mais tomberait en fait sur tant et tant d’épines acérées, allons sur l’ordre de notre Maître travailler à sa vigne dont nous devrons être chacun en son lieu un des rameaux chargé de fruits. Amen.