La messe d’aujourd’hui présente deux aspects, deux impressions opposées. Le premier aspect est grave, triste : c’est la prière. Le second est joyeux : c’est l’action de grâces. Deux pièces sont particulièrement importantes pour comprendre la messe du dimanche dans sa forme actuelle. Ce sont d’abord les trois chants tirés du psaume 73 (Intr., Grad., Comm.) ; ces chants nous donnent le ton principal et l’impression fondamentale du jour. C’est ensuite l’Évangile qui est un beau « mystère ».
Parlons de l’Évangile. Nous voyons dix lépreux qui sont guéris par le Christ. Neuf, après leur guérison, ne reparaissent plus ; le dixième, un Samaritain, revient vers le Seigneur pour le remercier. Que veut nous dire l’Église avec ce récit ? Nous avons ici un exemple classique du « mystère ». L’intention première de l’Église n’est pas de nous donner un enseignement concernant la reconnaissance. Elle veut, en nous représentant la guérison des dix lépreux dont un seul revient pour remercier, dérouler devant nos yeux une image de la messe d’aujourd’hui et de son efficacité salutaire. Le dimanche est un jour de Pâques, un jour de baptême. La messe est un renouvellement de la grâce du baptême, une cérémonie d’action de grâces pour notre conversion. Rappelons-nous que, dans l’ancienne Église, les adultes étaient baptisés dans la nuit de Pâques. L’Église a devant les yeux les baptisés qui, dans les fonts baptismaux, ont été guéri de la lèpre du péché originel. Or chaque dimanche est un renouvellement de la grâce du baptême. La sainte Eucharistie continue l’œuvre du baptême ; elle est le développement et le perfectionnement de la grâce du baptême.
On trouve, au reste, dans l’Évangile d’aujourd’hui, une belle allusion à l’Eucharistie : « Louant Dieu à haute voix, il tomba la face contre terre et le remercia » (eucharistôn autô) Eucharistie veut dire action de grâces. La messe du dimanche est un office d’action de grâces : les heureux privilégiés de la grâce remercient Dieu de les avoir guéris de la lèpre du péché. Puissions-nous voir, en effet, dans cette image, la signification de l’office du dimanche ! Le dimanche est le jour où nous devons louer Dieu à haute voix, le remercier de la grâce du baptême. C’est en même temps pour notre âme un jour de maturité dans lequel elle reçoit : « l’accroissement dans la foi, l’espérance et la charité » (Or.), « l’accroissement de la rédemption éternelle » (Postc.).
Cela nous fait comprendre l’Évangile. Dans cet étranger, le seul reconnaissant parmi les dix lépreux, nous nous reconnaissons, nous qui venons aujourd’hui assister à la messe. Aujourd’hui le Seigneur « entre dans le castel » de l’Église ; nous « allons au-devant de lui » et il nous guérit de la lèpre du péché ; il veut nous donner de nouvelles grâces au Saint-Sacrifice et dans la sainte communion.
Tel est l’aspect joyeux et lumineux de l’Évangile. Il a aussi un aspect triste et sombre. Le Seigneur se plaint de l’ingratitude des neuf autres lépreux guéris. Il désigne ici les chrétiens tièdes. Ces chrétiens ont reçu le baptême, mais ils ne pratiquent plus leur christianisme, ils n’assistent pas à la messe du dimanche (dans les grandes villes, il n’est pas exagéré de parler des neuf dixièmes). Cette plainte du Seigneur forme la transition qui nous amène aux chants mélancoliques du psaume 73. Toute la messe s’éclaire. La prière mélancolique pour nos frères égarés constitue le ton fondamental (c’est à l’Introït, à l’Évangile et à la Communion que la douleur est le plus sensible). C’est l’aspect sombre qui fait contraste avec la lumineuse action de grâces de la messe et la joie du baptême qui s’y exprime. C’est dans cette impression changeante que nous chantons comme une plainte le Kyrie, que suivent l’allégresse et l’action de grâces du Gloria. La belle oraison demande une véritable vie chrétienne. « L’accroissement dans la foi, l’espérance et la charité » est le renouvellement et l’augmentation de la grâce du baptême. Nous demandons non seulement d’accomplir les commandements, mais encore de les aimer.
Pour l’intelligence de la messe d’aujourd’hui, il est nécessaire de connaître le psaume 73 dans son entier. Le psaume est un des plus sombres du psautier et contient une phase triste de l’histoire d’Israël : Les païens pénètrent dans le temple, le dévastent, le profanent, le détruisent. Le psalmiste cherche dans l’histoire ancienne un motif de consolation. Dieu a délivré son peuple de l’Égypte, il a anéanti ses ennemis. Il cherche des consolations dans la nature : l’aurore, le soleil, le printemps et ses splendeurs sont des créatures de Dieu. Ainsi réconforté, il envoie vers le ciel une ardente prière pour implorer le secours.
Nous nous demandons maintenant quelle est la pensée de l’Église dans ce psaume. Le temple profané, c’est elle-même, la sainte Église de Dieu, le corps mystique du Christ, poursuivie par les ennemis, profanée par le péché. Elle songe aujourd’hui à tous ses enfants qui ne remplissent plus jamais leur devoir de reconnaissance, le dimanche. Unissons-nous aujourd’hui aux sentiments de ce psaume et offrons nos intercessions pour tous nos frères indifférents et tièdes. Trois fois nous avons l’occasion de nous associer à ces prières du psaume : à l’entrée dans la maison de Dieu, à l’Évangile et à la Communion. C’est à ces trois moments de la messe que notre compassion est particulièrement excitée. Ah ! disons-nous : ces malheureux ne trouvent plus le chemin de la maison de Dieu ; ils n’entendent plus le joyeux message du Christ ; ils ne goûtent plus la douceur du pain du ciel « qui contient toute suavité » (Comm.). Quant à nous, nous avons voulu, par notre reconnaissance, effacer les rides que le chagrin a creusées sur le front de notre Mère l’Église. Amen