Le temps de la Septuagésime nous permet de donner un sens plus accentué au mystère du Carême. En effet le mot SEPTUAGESIME exprime un nombre qui a une importance considérable dans la mystique : le nombre 70, et son dixième le nombre 7. Je ne peux vous faire un exposé complet sur la valeur du nombre dans la science sacrée : mais son influence est prépondérante. Ainsi le nombre 70 qui nous intéresse se retrouve par exemple dans les 70 semaines d’années prédites par le Prophète Daniel pour l’accomplissement de notre Rédemption par le Christ – c’est en l’an 70 après le Christ que Jérusalem est détruite par les Romains – et pour ce qui nous intéresse directement ici : la captivité des juifs à Babylone dure 70ans. Or cette captivité qui suivit une terrible déportation exprime la longue expiation à laquelle fut soumis Israël : l’Eglise reprend cette idée de l’exil en ces jours de Septuagésime. Babylone, la terre étrangère et païenne symbolise à merveille « ce monde de péché au milieu duquel le chrétien doit passer le temps de l’épreuve. Jérusalem, la Cité Sainte est la patrie céleste au sein de laquelle il se reposera de ses combats ». Mais encore faudra-t-il qu’elle lui soit ouverte : Jésus s’en chargera par sa victoire en la fête de Pâques.
« Que sommes-nous, ici-bas ? exilés, captifs, en proie à tous les périls que Babylone recèle. Si nous aimons la patrie (entendez Jérusalem et par-delà le ciel), si nous avons à cœur de la revoir, nous devons rompre avec les faux attraits de cette perfide étrangère, et repousser loin de nous la coupe dont elle enivre un grand nombre de nos frères de captivité ».
Déjà au temps de l’exil des Israélites, leurs vainqueurs leur demandaient au moins de chanter pour eux quelques-uns des cantiques de Sion. Et les fidèles d’alors répondaient avec horreur « Comment chanterions-nous le cantique du Seigneur sur la terre étrangère. Que ma langue s’attache à mon palais si ne garde ton souvenir, Jérusalem »
Défions-nous donc de ne trouver là que littérature. Dieu s’entend à donner des leçons, si, nous, nous semblons peu disposés à les comprendre ! Le slogan si actuel de l’ouverture au monde qui cache tant de compromissions et d’abandons, n’a pas cours ici quand il s’agit pour Dieu de nous demander un retranchement décidé et durable, exempt de toute profanation, c’est-à-dire n’acceptant pas de faire retourner à l’usage commun ou mauvais ce qui est réservé au service du Seigneur.
Graves pensées qui, selon l’expression de Dom Guéranger, font une « trêve à cette fausse sécurité, à ce contentement de soi qui s’établissent trop souvent au fond des âmes molles et tièdes, et n’y produisent que la stérilité. Heureux encore lorsque ces dispositions n’amènent pas insensiblement l’extinction du véritable sens chrétien ! Celui qui se croit dispensé de cette vigilance continuelle tant recommandée par le Sauveur, est déjà sous la main de l’ennemi ; celui qui ne sent le besoin d’aucun combat, d’aucune lutte pour se maintenir et pour cheminer dans le bien, à moins d’avoir été honoré d’un privilège aussi rare que dangereux, doit craindre de ne pas être dans la voie de ce royaume de Dieu qui ne s’enlève que de vive force ; celui qui oublie les péchés que la miséricorde de Dieu lui a pardonnés, doit redouter d’être le jouet d’une illusion périlleuse. » Sans doute faudrait-il rappeler beaucoup de paroles de Notre Seigneur lui-même et qui ne nous découvrent pas la vocation de disciple comme une joyeuse partie quand le Maître a été si mal traité.
Saint Paul se lève d’ailleurs, aujourd’hui, pour nous le redire dans l’épitre de la Sexagésime. « Rendons gloire à Dieu dans ces jours que nous allons consacrer à la courageuse contemplation de nos misères, et venons puiser, dans la connaissance de nous-mêmes, des motifs nouveaux d’espérer en celui que nos faiblesses et nos fautes n’ont point empêché de s’abaisser jusqu’à nous, pour nous relever jusqu’à lui ». Amen